Equidécomposabilité

 

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Dans l’enseignement élémentaire les notions d’aire et de mesure d’une aire font partie de ces concepts considérés comme intuitivement évidents, pour lesquels en tout cas on ne donne aucune démonstration même pour des figures aussi simples que le rectangle ou le triangle.

Quel est le professeur de collège ou de lycée qui saurait démontrer spontanément la formule longueur x largeur pour la mesure de l’aire d’un rectangle quelconque ?

Il y a à cela une raison profonde, explicitée par Hilbert dans ses Fondements de la géométrie mais déjà mise en évidence dans les Éléments d’Euclide : la nécessité de recourir à un axiome de continuité ou axiome d’Archimède.

C’est pourquoi l’essentiel des Éléments d’Euclide, consacré à la géométrie élémentaire, a son  architecture interne nettement séparée en deux parties par le Livre V consacré à la théorie des proportions, c’est à dire à la gestion des rapports de grandeurs incommensurables. Le théorème de Thalès, ou la proportionnalité de l’aire d’un triangle à la longueur d’un côté et à la hauteur correspondante ne sont traités qu’au Livre VI, parce que leur démonstration exige l’axiome de continuité.

Alors que le théorème de Pythagore est traité dès la fin du Livre I, c’est à dire nettement avant la théorie des proportions, parce qu’Euclide a développé dans ce livre toute une théorie des propriétés et des comparaisons des aires sans recours à leur mesure. Le ressort principal des démonstrations d’Euclide dans ce Livre I consiste à ajouter et retrancher des figures congruentes (nous dirions isométriques) à des figures congruentes, pour obtenir d’autres figures congruentes.

Par exemple pour la proposition 35 :

Les parallélogrammes qui sont sur la même base et dans les mêmes parallèles sont égaux entre eux.
…c’est à dire ont même aire.

Euclide démontre en substance de la manière suivante l’égalité (en aire) des parallélogrammes ABCD et EBCF (figure 1)

figure 1

Comme les triangles ABE et DCF sont égaux, les parallélogrammes ABCD et EBCF sont égaux car obtenus à partir des triangles égaux en ajoutant un même triangle BGC et en retranchant un même triangle DGE.
Euclide ne traite pas le cas de la figure 2, où le point G tombe à l’extérieur des segments BE et CD. Mais le principe est le même.
Dans la suite, pour parler de deux polygones qui ont la même aire, nous dirons qu’ils sont équivalents et nous utiliserons quelquefois le signe ≈.

figure 2

La démonstration d’Euclide dans le cas de la figure 2 peut se simplifier en remarquant qu’on a une partie commune : le trapèze EBCD et deux triangles congruents, ABE et DCF.

Donc les deux parallélogrammes ABCD et EBCF sont composés de parties congruentes (un triangle plus un trapèze) ce que l’on traduit aujourd’hui en disant que les parallélogrammes sont équidécomposables.

Ce terme a été introduit par Hilbert dans les éditions postérieures à la quatrième édition des Fondements de la géométrie ; on parle aussi de multicongruence ou d’égalité finie, pour mettre l’accent sur le fait qu’on n’utilise qu’un nombre fini de polygones élémentaires, contrairement à ce qui se fait dans le cas d’une exhaustion.

Il n’est pas difficile d’appliquer cette méthode à la situation de la figure 1 : il suffit de découper les deux parallélogrammes par des parallèles à la base équidistantes et en nombre suffisant pour que la première coupe le triangle BCG, complétées par autant de parallèles aux autres côtés (figure 3).

Cette dernière démonstration a l’avantage de n’utiliser qu’une seule idée – celle de la subdivision en parties congruentes.

Mais il y a aussi un problème : cette démonstration repose sur le fait qu’on peut subdiviser un segment en un nombre fini de parties de même longueur.

D’un point de vue moderne cela renvoie au caractère archimédien des segments. Parce que Hilbert voulait développer une théorie des aires sans recourir à l’axiome d’Archimède il était obligé de recourir à la méthode un peu plus compliquée d’Euclide qui fait aussi intervenir des soustractions d’aires.

Dans le chapitre IV de ses Fondements, après avoir défini un polygone comme réunion finie de triangles, il convient qu’un polygone A est décomposé en deux polygones B et C si l’on a   est réduit à une réunion de segments.

La décomposition en un nombre fini de polygones se définit de façon analogue. Suivent alors les deux définitions essentielles pour notre propos : 

DÉFINITION . – Sont dits flächengleich , c’est-à-dire égaux par addition,
deux polygones qui peuvent être décomposés en un nombre fini de triangles respectivement congruents deux à deux.

DÉFINITION . – Sont dits inhaltsgleich ou von gleichem Inhalte , c’est-à-dire égaux par soustraction, deux polygones auxquels on peut ajouter des polygones égaux par addition, de manière que les deux polygones ainsi composés soient eux-mêmes égaux par addition*

La première correspond à l’ équidécomposabilité . La seconde est appelée équicomplémentarité .

figure 3

* D’après la traduction de Laugel, Principes fondamentaux de la géométrie  par M. D. Hilbert ; trad. par L. Laugel,  Paris : Gauthier-Villars, 1900.


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